LCP – JEUDI 18 AVRIL À 20 H 30 – MAGAZINE
A l’occasion des vacances de Pâques, LCP rediffuse l’émission « Rembob’INA » que consacrait Patrick Cohen, le 15 mars, à l’un des numéros du fameux programme hebdomadaire « Musiques au cœur », qu’Eve Ruggieri anima sur Antenne 2, puis sur France 2, de 1982 à 2009. La journaliste y a révélé au grand public de nombreux jeunes interprètes de musique classique, promis à une grande carrière – entre autres Natalie Dessay et Roberto Alagna – et reçu les plus grands artistes de la vie musicale internationale.
Eve Ruggieri, née en 1939 et à l’élégance toujours fringante, est invitée par Patrick Cohen à commenter l’émission qu’elle avait consacrée, en 1995, à Samson François (1924-1970), pianiste génial et météorique : cet oiseau de nuit à la chevelure calamistrée et aux paupières bistrées, qui courait les boîtes de jazz, commençait sa journée (l’après-midi) par un Ricard et fumait comme un pompier, devait mourir à 46 ans d’un énième infarctus.
Mais il a laissé un souvenir éblouissant, et des disques d’anthologie, dont des programmes Chopin ou les deux Concertos, de Maurice Ravel, enregistrés, en 1959, avec André Cluytens et l’Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire. Et une intégrale Claude Debussy, interrompue par sa mort, entre deux séances d’enregistrement, Salle Wagram, à Paris.
« Excès »
Le soir même, dans son « Pop Club » de France Inter, où l’on entendait rarement de la musique classique, José Artur rendait hommage à cet « artiste authentiquement populaire, comme aucun pianiste ne l’a plus été en France, à part Georges Cziffra », écrit Alain Lompech dans Les Grands Pianistes du XXe siècle (Buchet-Chastel, 2012).
La discussion liminaire, sur le plateau de « Rembob’INA », insiste sur les « excès » de Samson François. Il pouvait être inégal sur scène (« Il prenait chaque concert pour une aventure dont il ne connaissait pas l’issue », écrit Lompech) mais, insistait sa veuve, Josette Samson François, jamais il ne jouait ivre en public.
Cependant, les paradoxes et les traits de caractère moins glorieux de cet homme – qui avait l’allure, le parler et les propos d’un décadentiste réactionnaire – ne sont pas évoqués. Et encore moins par les invités reçus, en 1995, par Eve Ruggieri dans ce « Musiques au cœur » rediffusé : son élève Bruno Rigutto, ses amis le réalisateur Claude Santelli et le compositeur et critique du Figaro Pierre Petit.
Eve Ruggieri faisait déjà grandement appel aux archives de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), coproducteur de l’émission de Patrick Cohen : on y voit Samson François jouer et parler, mais aussi Marguerite Long, sa professeure, filmée en 1966 – l’année de sa mort –, par Santelli. De sorte que, par le truchement d’archives télévisées utilisant des archives télévisées, ce numéro de « Rembob’INA » produit un vertigineux effet de mise en abyme.
« L’un des âges d’or de la télévision »
La troisième partie de l’émission remet d’ailleurs sévèrement en perspective la présence de la musique classique aujourd’hui sur les écrans, rappelant ce que Richard Poirot, rédacteur en chef à l’INA, nomme l’un des « âges d’or de la télévision française » : en 1970, chaque mercredi soir fut célébré en grande pompe le bicentenaire de la naissance de Ludwig van Beethoven (que n’aimait guère Samson François, qui le qualifiait de « premier radical-socialiste »…).
Richard Poirot en profite, avec raison, pour rendre un juste hommage à Pierre Vozlinsky, qui fut le producteur de la série, tandis qu’il était chef du service de la musique à la télévision. Car ce poste, on a peine à le croire, a bien existé – et par « musique », on n’entendait pas alors « variétés »…
Sans remonter à l’époque ou Pierre Petit animait, au piano, une émission de musique classique, le dimanche après-midi, sur Antenne 2, entre « L’Ecole des fans », de Jacques Martin, et le « Muppet Show », on peut se rappeler qu’on pouvait également voir, naguère, sur les chaînes de la télévision publique, des portraits de compositeurs vivants : quelle est la dernière fois qu’Arte a proposé une telle chose ?
France Télévisions se paya même le luxe de mettre en concurrence Eve Ruggieri avec Alain Duault, qui avait sa propre émission sur France 3 (de 1987 à 2001), tandis qu’Arte consacrait une soirée hebdomadaire (« Musica ») à la musique classique… Non seulement tout cela n’existe plus, mais n’a pas été remplacé. Ce qu’Eve Ruggieri souligne, poliment, mais fermement, à la fin de « Rembob’INA ».
Rembob’INA. Musiques au cœur : Eve Ruggieri célèbre Samson François (1995), émission réalisée par Nicolas Clerno (Fr., 2024, 87 min.)
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