L’action débute en avril 1975 à Saïgon, alors que la chute de la ville est devenue inéluctable. Sa prise par les troupes nord-vietnamiennes va marquer la fin officielle de la guerre du Vietnam – ce conflit qui est appelé la “guerre américaine” au Vietnam, comme cela nous est très tôt rappelé.

Cette volonté de décaler le regard et d’offrir des récits alternatifs est le principal ressort de The Sympathizer, la série que le Sud-Coréen Park Chan-wook (Old Boy, Mademoiselle) a cocréée pour la chaîne HBO. En France, elle est en cours de diffusion sur Amazon Prime Video (avec le Pass Warner). Elle est adaptée du roman éponyme de Viet Thanh Nguyen, qui a reçu le prix Pulitzer de la fiction en 2016 (en français chez 10/18, sous le titre Le Sympathisant).

Des récits dans le récit, un film dans le film

Premier recadrage opéré : le principal conflit mis en scène “n’est pas celui qui a opposé les États-Unis au Vietnam, mais celui qui divise les Vietnamiens”, relève The Washington Post. Le héros, c’est Le Capitaine (Hoa Xuande, encensé par la critique), métis franco-vietnamien et agent double, qui travaille à la fois pour la CIA et les communistes. L’une des premières scènes nous le montre bien après la guerre, dans un camp de rééducation du Nord-Vietnam, obligé d’écrire et de réécrire ses confessions. On ne sait pas encore comment il a atterri là, mais déjà les versions de son histoire se succèdent, à chaque fois légèrement différentes, et les récits commencent à s’emboîter les uns dans les autres.

Pour donner la réplique à Hoa Xuande, Park Chan-wook a choisi Robert Downey Jr. (Iron Man, Oppenheimer). Rare acteur blanc au générique, il incarne tour à tour quatre personnages différents : un agent de la CIA, un chercheur spécialiste de l’Orient, un politicien républicain et un cinéaste qui tourne un film sur la guerre du Vietnam. Time applaudit ce choix de casting, qui donne “le même visage” à “toutes les facettes de l’hégémonie américaine”, qu’elle soit sécuritaire, universitaire, politique ou culturelle. Le magazine y voit aussi un pied de nez à “la façon dont Hollywood traite les personnages et les acteurs asiatiques, tous interchangeables”.

Un savoureux séminaire postcolonial

Park Chan-wook n’a réalisé que les trois premiers épisodes. Est-ce à cause de cela ? Plusieurs critiques considèrent que la série ne tient pas toutes ses promesses sur la durée. Time, pour sa part, la juge “audacieuse, ambitieuse et géniale”, quand Rolling Stone applaudit “une prouesse télévisuelle”, une fiction “à la fois très sombre et très drôle”, habile à reproduire l’“humour” qui faisait le sel du roman. Cet humour vient contrebalancer le tragique des événements, commente le magazine. “Il aide aussi à ce que la chronologie reste lisible malgré son éclatement. Les constantes digressions et les renversements constituent un comique de répétition en soi, toujours dignes d’attention.”

“Drôle”, c’est aussi le qualificatif mis en avant par Vulture, le site consacré à la pop culture du New York Magazine, qui n’aurait jamais rêvé s’amuser autant devant “un séminaire de haut niveau sur les théories de l’impérialisme”. Il décèle dans la série un exercice de style postcolonial, avec, entre autres, un narrateur peu fiable, des souvenirs qu’on réécrit selon de nouvelles perspectives, l’exploration de la double identité, le rejet des clichés orientalistes, une critique du pouvoir de séduction de la culture américaine…

Effectivement, cela fait beaucoup pour une mini-série en sept épisodes, sans doute trop, concède Vulture. Mais “les failles de la série sont presque aussi drôles que ses triomphes – elles donnent du grain à moudre, écrit le site. Au moins, il y a des partis pris. Et Park Chan-wook excelle dans l’art d’employer des artifices narratifs et visuels pour mieux dévoiler tous les engrenages de son histoire.”